Regard sur la Planification stratégique 2023-2028 de la Régie du bâtiment du Québec

Jeudi, 28 mars, 2024
Marc-André Harnois, DG ACQC

Comme tous les organismes assujettis à la Loi sur l'administration publique, la Régie du bâtiment du Québec (RBQ) a l’obligation d’établir un plan stratégique. Sa Planification stratégique 2018-2023 étant échue depuis avril dernier, c’est en janvier qu’elle a publié, avec quelques mois de retard, sa Planification stratégique 2023-2028

D’emblée il faut le dire, dresser la planification stratégique d’un organisme public est toujours un exercice délicat. Contrairement au secteur privé où ces démarches demeurent généralement confidentielles, dans le secteur public, il s’agit de documents qui seront déposés à l’Assemblée nationale, accessibles à tous, et qui suscitent donc forcément des attentes. De plus, le gouvernement du Québec s’oriente de plus en plus vers la gestion axée sur les résultats et c’est en bonne partie sur la base de ces planifications que le Conseil du trésor évalue la performance des ministères et organismes (il est nouveau que les organismes soient inclus à ce tableau de bord et la RBQ devrait s’y ajouter dans les prochaines années). Il est donc toujours délicat de formuler des objectifs pertinents, ambitieux et réalisables, sachant qu’on sera critiqué à la fois s’ils manquent de pertinence ou d’ambition et si on ne les atteint pas. Ainsi, même lorsqu’impeccablement réalisés, ces planifications étant publiques et pouvant être politisées, le risque est fort que leur diffusion fasse l’objet d’un exercice de communications qui tend à maquiller des difficultés en améliorations. C’est donc avec un esprit d’ouverture que je tente de réagir à cette nouvelle planification stratégique, en reconnaissant la pertinence des réflexions sous-jacentes, mais néanmoins en commentant ce qui, selon moi, mérite de l’être. 

Pour qu’on se comprenne, la nomenclature gouvernementale en la matière va ainsi :
Enjeu / Orientation(s) / Objectif(s) / Indicateur(s), Cibles (généralement annuelles).

Si l’on compare les enjeux avec ceux de la planification précédente, malgré les reformulations, la continuité est évidente: 1) Prévention, 2) Services, 3) Personnel. Manifestement, les dirigeants de la RBQ ont dressé les mêmes constats qu’en 2018 et c’est dans la manière de s’attaquer aux problèmes (objectifs, indicateurs et cibles) qu’ils ont fait des choix différents. 

Pour résumer avant de plonger, nous avons droit à des enjeux et orientations pertinents s’inscrivant en continuité avec la planification 2018-2023. Cependant, nous avons également droit à certains objectifs plus ou moins reliés à leur orientation, à certains indicateurs dont on peut difficilement dire qu’ils permettent de mesurer l’atteinte de leur objectif et finalement, à certaines cibles qui font sourciller. Ainsi, aussi pertinents que puissent être certains indicateurs ou objectifs, ils donnent parfois l’impression d’avoir été choisi pour eux-mêmes, puis insérés de force à l’endroit le plus cohérent. C’est dommage, parce que ça donne un arrière-goût de campagne marketing à certaines orientations dont on peine à voir l’évolution attendue au regard des moyens choisis. 

En détail

L’enjeu 1 (prévention, protection et sécurité du public) est de loin l’enjeu qui rejoint le plus la mission de l’ACQC et c’est celui sur lequel je vais donc me concentrer. D’abord pour souligner la pertinence des objectifs puisqu’ils visent davantage d’inspections, la surveillance de la qualité des travaux, la qualification des entrepreneurs, l’efficience des processus administratifs, l’harmonisation des codes et l’utilité des renseignements offerts par la RBQ. Il y a cependant quelques éléments à noter concernant les indicateurs et les cibles… là où ça devient plus concret. 

1.1 Les cibles d’inspection

Les cibles annuelles d’interventions d’inspection et de surveillance (objectif 1.1) représentent une augmentation d’environ 2% par année. Considérant les critiques qu’on avait faites à ce sujet, c’est évidemment un pas dans la bonne direction. Cela dit, quand on remet ça en perspective, depuis le sommet de 19 457 inspections en 2014-2015, ça fait 8 ans que ça diminue de 4% en moyenne par année. Alors, une augmentation annuelle de près de 2% pendant 5 ans, ça ne fera que nous ramener au niveau de 2019-2020… en 2027-2028. 

De plus, ce constat ne prend même pas en compte le fait que l’industrie de la construction a connu une croissance importante ces dernières années. Si l’on divise le nombre d’inspections réalisées par un indicateur de la taille de l’industrie, disons par millions d’heures travaillées (données de la CCQ, en soustrayant les heures du secteur génie civil qui n’est généralement pas assujetti à la réglementation), on se rend compte que les chantiers sont beaucoup moins surveillés qu’ils ne l’ont déjà été (sans dire que c’était suffisant à l’époque). Ainsi, alors qu’en 2015-2016 on en était à 165 inspections par millions d’heures travaillées, on n’en était plus en 2022-2023 qu’à 82, soit deux fois moins ! Les projections de faible croissance de l’industrie ces prochaines années devraient aider la RBQ à effectuer un certain rattrapage. Néanmoins, en 2027-2028, l’indice ne devrait en être qu’aux alentours de 92. Alors, si on ne peut qu’applaudir la volonté de la RBQ de mettre fin à la diminution des inspections en nombre absolu, il est important de souligner qu’advenant que l’industrie contredise les projections et connaisse une croissance moyenne de ses activités de plus de 2%, une augmentation de 2% du nombre d’inspections représenterait malgré tout une diminution relative de la présence de la RBQ sur les chantiers. Un portrait qui contraste avec une citation accompagnant le communiqué de publication : « La RBQ redouble d'efforts notamment pour accroître sa présence sur le terrain, tant en inspection qu'en enquête, [...] ». À la décharge de la RBQ, la compétition semble actuellement très forte pour l’embauche d’inspecteurs qualifiés, un enjeu pour nombre d’entreprises du domaine qui, elles, pourtant, ne sont pas liées par les règles d’embauche et les conventions collectives du secteur public. 

1.2 Surveillance de la qualité des travaux

Le «Taux d’inspection en construction comprenant une vérification d’éléments relatifs à la qualité des travaux» (objectif 1.2) est de loin l’indicateur qui m’a laissé le plus perplexe. C’est que ses cibles partent à 5% pour être à 50% en 2027-2028, ce qui laisse penser qu’avant 2023, la RBQ ne surveillait absolument pas la qualité des travaux. 

À la lecture de la planification stratégique, on comprend que jusqu’alors, les inspections visaient la conformité aux codes en vigueur et qu’on va graduellement intégrer aux grilles des éléments de «bonnes pratiques» ou concernant les directives des manufacturiers de matériaux. C’est évidemment une décision qu’il faut applaudir, mais qui témoigne lourdement de tout ce qui est à changer à la RBQ. D’après la Loi sur le bâtiment, une des fonctions de la RBQ est de « vérifier et contrôler [...] le respect des normes de construction et de sécurité ». Sachant que l’entrepreneur est tenu de respecter «les règles de l’art» tout autant que le Code de construction du Québec, c’est fou de penser que durant plus de 30 ans, on n’a pas jugé bon de vérifier le respect des bonnes pratiques. Un changement qui s’imposait et qu’on applaudit. 

1.3 Les examens de la RBQ

C’était une critique importante de la Vérificatrice générale du Québec en 2021: la RBQ doit mettre à jour plus fréquemment ses examens afin de contrer la circulation des questions (et surtout des réponses) dans l’industrie. La modernisation déjà entamée de son système d’examens était d’ailleurs une des réponses clés de la RBQ suite au rapport de la VGQ. C’était donc immanquable que cela fasse partie de sa nouvelle planification stratégique. La seule surprise est que même si les cibles étaient atteintes, en 2027-2028, près de 7 ans après le dépôt du rapport de la VGQ, malgré que la RBQ disait alors que la modernisation était déjà entamée, on n’en sera toujours qu’à 50% des nouvelles versions d’examens administrées. Sans vouloir minimiser l’ampleur du chantier que ça doit représenter et l’importance de bien faire les choses, considérant la fierté que la RBQ a manifestée pour ce projet depuis 2021, je m’attendais à ce qu’ils soient plus avancés. 

1.4 Nombre d’enquêtes finalisées

Un indicateur intéressant est le nombre d’enquêtes administratives finalisées (objectif 1.4). La RBQ a l’intention de pratiquement doubler sa capacité en 5 ans (de 185 à 350), ce qu’il faut saluer. Personnellement, pour constater chaque semaine la détresse que peuvent causer certains entrepreneurs qui mériteraient des sanctions pénales, j’aurais bien aimé plutôt y voir le nombre d’enquêtes pénales finalisées, lequel s’est effondré depuis la pandémie, passant de 1088 à 475 en moyenne. Cela dit, il faut reconnaître qu’une augmentation du  nombre d’enquêtes administratives pourrait permettre de sortir du marché certains entrepreneurs avant, justement, qu’ils ne fassent suffisamment de dommage pour mériter des sanctions pénales. L’ACQC mettant si souvent de l’avant la prévention, on serait mal venus de trop critiquer sur ce point. 

Indice de confiance du public et fréquentation du site Web

On en arrive aux indicateurs qui me semblent avoir été casés là pour eux-mêmes et qui ne permettent pas de mesurer l’atteinte de leur objectif. 

L’objectif « 1.6 Offrir à nos clientèles les renseignements utiles pour accroître la qualité et la sécurité des bâtiments et des installations» sera mesuré par la progression d’un Indice de confiance du public. Or, en quoi la confiance du public (dont une bonne part ne consultera aucune information de la RBQ dans la période mesurée), mesure l’utilité des renseignements qu’elle offre à ses clientèles? D’ailleurs, la note explicative précise que «Cet indice sera créé dans le but [...], notamment de mesurer la valeur perçue de la licence d’entrepreneur.» Entendons-nous, un tel indice est très pertinent, aussi bien pour guider la RBQ que pour ceux qui, comme nous, peuvent la critiquer à l’occasion. Mais, il ne mesure pas l’atteinte de l’objectif. De plus, son utilisation comme indicateur dans la planification stratégique peut rendre tentant de consacrer des ressources à influencer la perception du public plutôt qu’à régler les lacunes bien réelles identifiées par la VGQ en 2021.

De la même manière, l’objectif « 2.2 Améliorer la clarté de nos échanges » sera mesuré par le Taux d’augmentation du nombre de visites de la section destinée aux citoyens et citoyennes du site Web de la RBQ. Si on peut saluer la volonté de la RBQ que son site Web soit davantage consulté et en particulier par les consommateurs (qui actuellement ne représentent que 25% des visites), la fréquentation en soi ne mesure pas la clarté des échanges, mais bien davantage la notoriété. Un sondage aléatoire aux visiteurs du site eût sans doute été plus représentatif. Cela dit, la critique en est une de cohérence, car sur les effets, on ne pourra que se réjouir si la RBQ arrive à augmenter les visites de la section destinées aux citoyens et citoyennes de 61% en 5 ans, ce qui serait bien au-dessus de la croissance actuelle de la fréquentation de son site Web dans son ensemble. 

Formation du personnel

Pour terminer, un commentaire en demi-teinte sur l’objectif de formation de son personnel (4.1). La RBQ se donne pour objectif, sur 5 ans, de faire passer de 2,4 à 3 le nombre moyen de jours de formation de son personnel. Une mesure tout à fait justifiée pour que ses employés (et notamment ses inspecteurs) soient en mesure de faire respecter les nombreuses et importantes dispositions sous sa responsabilité. C’est d’autant plus louable sachant que la moyenne des treize années de données publiées est de 2,2 jours/employé/année. La mesure de départ à 2,4 est donc déjà au-dessus de la moyenne et viser de passer à 3 témoigne donc d’un certain degré d’ambition. Je m’en voudrais cependant de ne pas avoir remarqué que cette cible d’une moyenne de 3 jours de formation par employé faisait déjà partie de la planification stratégique précédente. Or, la moyenne des 5 années en question est à 1,7 jour. On reporte donc à 2027-2028 un objectif qu’on s’était initialement donné pour 2018-2019. On ne peut donc que souhaiter que cette fois-ci soit la bonne. 

Conclusion

Malgré ces quelques commentaires, l’exercice n’est absolument pas à dénoncer en bloc. Bien qu’on puisse noter quelques soucis de cohérence, il n’en demeure pas moins que pris pour eux-mêmes, chacun des indicateurs est effectivement souhaitable et que les cibles sont porteuses d’une réelle amélioration de l’encadrement de la RBQ.

Seulement, contrairement à ce qui était affirmé à la sortie du document,  je ne suis pas convaincu que le degré d’ambition du plan soit « en adéquation avec les attentes élevées de la population. » Considérant les surplus importants de la RBQ (au sujet desquels j’ai encore écrit en décembre dernier), on aurait souhaité davantage. 

Cela dit, il ne faut pas perdre de vue que la capacité de transformation de la RBQ dépend également de sa capacité à embaucher, laquelle (indépendamment des surplus de la RBQ) dépend du bon vouloir du Secrétariat du Conseil du trésor (lequel encadre les embauches dans la fonction publique). Une partie de la solution demeure donc encore entre les mains de la ministre Sonia Lebel.

Par ailleurs, plusieurs revendications importantes de l’ACQC sont d'ordre législatif et cadrent mal dans une planification stratégique. Par exemple, la réforme du système de cautionnement, la bonification du Plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs, ou encore l'instauration de la surveillance obligatoire des chantiers n'allaient assurément pas être annoncées dans un tel document. Ces éléments demeurent des points majeurs pour améliorer la protection des consommateurs qu’ils pourraient réaliser dans les 4 années qu’il reste à ce plan.