- Quand le prix final n’est pas le prix convenu au départ
Il y a essentiellement deux manières de devenir propriétaire d’une habitation neuve :
- Vous achetez un terrain, puis vous construisez ou faites construire une habitation dessus (contrat d'entreprise).
- Vous vous engagez auprès d’un entrepreneur ou promoteur à acheter un terrain qui lui appartient une fois qu’il y aura construit l’habitation convenue (contrat préliminaire).
Si dans les deux cas, on convient à l’avance d’un prix qu’il faudra ensuite respecter (sauf exception), les recours sont cependant fort différents dans les deux cas lorsque le prix initial ne tient plus.
- Lorsque survient un différend et que le terrain appartient déjà au futur occupant, celui-ci est relativement en position de force dans la négociation, parce qu’il a le pouvoir, ultimement, de rompre le contrat de service pour poursuivre avec un autre entrepreneur (art. 2125 CcQ). Ce n’est évidemment pas sans conséquences (art. 2129 CcQ) et il peut être difficile de trouver un entrepreneur prêt à poursuivre un ouvrage mal débuté par un autre, mais c’est possible.
- Inversement, lorsque le terrain appartient toujours à l’entrepreneur ou promoteur, lorsqu’il refuse illégalement d’honorer sa promesse de vente, il se retrouve en position de force face à un acheteur qui, bien souvent, a besoin que l’habitation lui soit livrée pour ne pas se retrouver à la rue.
Par ailleurs, même lorsque l’habitation est assujettie au Plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs administré par Garantie de construction résidentielle (GCR), le respect du prix convenu ne fait pas partie des éléments protégés par le Plan et GCR ne sera donc pas en mesure d’intervenir. À la limite, si les plaintes contre l’entrepreneur s’accumulent à la Régie du bâtiment du Québec (RBQ) (on vous encourage à porter plainte ! ), la RBQ pourrait éventuellement sévir et l’entrepreneur pourrait perdre sa licence RBQ et son accréditation GCR. Il s’agit cependant d’un processus très long et cela ne vous donnera pas davantage votre habitation.
Ainsi, il n’est pas rare qu’on nous rapporte qu’un entrepreneur refuse d’honorer un contrat préliminaire, généralement, parce qu’il exige un prix supérieur au prix convenu, mais également parfois pour d’autres raisons. C’est un scénario qu’on nous a beaucoup dénoncé durant la COVID, qui tend à réapparaître et qui fait l’objet de cette page.
Notez que chaque situation est unique et que vos recours spécifiques dépendent des circonstances de votre cas particulier. Il est donc important de consulter un professionnel spécialisé en droit de la construction et de l’immobilier pour obtenir des conseils juridiques adaptés à votre situation.
Bien relire votre contrat
*** Si vous possédez déjà le terrain et faites construire dessus, cette page ne s’adresse pas à vous. Consultez notre page sur les extras.***
D’abord, avant de crier à la surfacturation, il est essentiel de prendre le temps de bien lire votre contrat. Il devrait s’agir d’un contrat préliminaire ressemblant, par exemple, à celui proposé par GCR. Cependant, contrairement à ce dernier, il n’est pas rare que le contrat contienne une clause d’indexation du prix qui vise à permettre au vendeur d’augmenter le prix advenant certaines éventualités, telle une hausse du prix des matériaux. Ce qui est plus rare cependant, c’est qu’une telle clause soit légale. En effet, si l’idée n’est pas illégale en soi, le Code civil du Québec prévoit que « le contrat préliminaire doit [...] mentionner, si le prix est révisable, les modalités de la révision » (art. 1786 CcQ), ce qui n’est généralement pas le cas. La simple mention que le prix sera indexé au coût des matériaux serait très insuffisante. Quels matériaux ? Y a-t-il un indice de référence ? Ou est-ce basé sur une liste de prix spécifique au projet ? Et l’augmentation du coût des matériaux doit-elle être calculée au moment de livraison du bâtiment ou au moment de l’achat des matériaux (parce qu’on a déjà vu des entrepreneurs réclamer une augmentation du prix justifiée par une hausse du prix des matériaux, alors qu’ils avaient déjà acheté les matériaux bien avant la hausse) ? Ainsi, pour que la clause soit valide, les modalités de la révision doivent être précises et sans ambiguïté. Sinon, comment l’acheteur saurait-il, au moment de la signature, ce à quoi il s’engage ? Il faut pratiquement que ce soit assez clair pour que l’acheteur puisse calculer la hausse lui-même.
À noter cependant qu’on a déjà vu des clauses qui permettaient au vendeur d’annuler le contrat dans certaines circonstances. Ces clauses peuvent parfois être utilisées comme levier de négociation pour exiger une hausse de prix.
Par ailleurs, certains entrepreneurs plaideront un « cas de force majeure » pour justifier les hausses exigées. Sachez que cela ne tient pas la route. D’abord, parce qu’un cas de force majeure doit rendre le respect du contrat impossible, pas juste plus coûteux. Ensuite, parce que si un cas de force majeure peut effectivement permettre à un entrepreneur de se libérer de ses obligations, cela ne lui permet pas d’exiger une hausse de prix. Uniquement de résoudre le contrat. Consultez notre page sur la force majeure pour plus de détails.
Exigez des pièces justificatives
Que le contrat contienne ou pas une clause d’augmentation du prix, exigez les pièces justificatives du calcul de l’entrepreneur. Si celui-ci est de bonne foi, il ne devrait pas avoir de misère à les produire, alors que si son nouveau prix s’appuie sur du vent, il va certainement refuser.
Négociez
Si la hausse vous semble presque raisonnable, si vous tenez absolument à l’habitation en jeu, ou si vous ne pouvez vous permettre des démarches juridiques coûteuses, considérez de négocier. Même lorsqu’il est dans l’illégalité, si l’entrepreneur décide de déchirer votre contrat et de vendre à quelqu’un d’autre, il y a de fortes chances que vous perdiez votre habitation. Il est très possible qu’un tribunal vous accorde éventuellement un montant pour le dommage que vous aurez subi, mais ça ne vous donnera pas l’habitation.
Il existe bel et bien des démarches juridiques (dont il sera question plus bas) pour tenter de bloquer la vente à un tiers et forcer la vente à l’acheteur initial, mais cela vous coûtera des honoraires d’avocat, sans garantie de succès.
Donc, s’il est possible de s’entendre, c’est souvent à considérer.
Les recours
S’il n’est pas possible de s’entendre, plusieurs recours sont possibles, selon la situation, dont deux principaux dont il sera question ici.
La passation de titre
Si un entrepreneur refuse de vendre au prix convenu (qu’il refuse de passer chez le notaire et de transférer les titres de la propriété nouvellement construite, malgré l’existence d’une promesse d’achat signée et acceptée initialement par les deux parties), il est possible d’intenter une action en passation de titre. C’est-à-dire, demander à un tribunal de forcer la vente aux conditions prévues dans le contrat préliminaire.
Ce n’est cependant pas toujours si simple, car s’il est aisé pour un juge de forcer une vente, il est plus complexe de forcer l’entrepreneur à terminer l’ouvrage. Il vaut donc généralement mieux que l’habitation soit terminée ou pratiquement terminée pour avoir gain de cause. Cela pose un dilemme sur le moment où on intente l’action. Si on l’intente trop tôt, l’entrepreneur pourrait interrompre le chantier et ainsi faire obstacle à la passation de titre. Si on attend trop tard, il saura que l’acheteur n’a pas l’intention d’accepter la hausse et risque de vendre à quelqu’un d’autre.
La Demande d’ordonnance de sauvegarde
C’est une des raisons pour laquelle il existe également l’ordonnance de sauvegarde. Il s’agit d’une demande qui vise à empêcher la vente de la propriété, le temps qu’un tribunal se penche sur le litige. Encore une fois, si on en fait la demande trop tôt, l’entrepreneur pourrait décider d’interrompre le chantier, pour limiter les risques d’être forcé de passer le titre, mais au moins, il ne pourra pas vendre à un autre tant que ce ne sera pas réglé.
En pratique
On nous a dénoncé des cas particulièrement révoltants où l’entrepreneur attendait peu avant la transaction pour exiger une hausse au moment où l’acheteur est le plus vulnérable : il a déjà vendu sa maison ou cédé son bail et n’a plus vraiment le choix d’acheter s’il ne veut pas se retrouver à la rue.
Néanmoins, dans bien des cas, les entrepreneurs n’attendent pas à la dernière minute pour exiger une hausse. Ils vont annoncer en cours de chantier qu’ils estiment que les coûts / les circonstances justifient une hausse de prix et vont exiger une acceptation en bonne et due forme. Ça a l’avantage que l’acheteur ne se retrouve pas acculé au pied du mur quelques jours avant de passer chez le notaire. Ça a le désavantage que cela le force à se commettre alors que le bâtiment est toujours en construction et donc, qu’une passation de titre serait plus difficile.
Le bras de fer
Cela étant dit, lorsque l’acheteur obtient une ordonnance de sauvegarde, débute un bras de fer entre acheteur et vendeur, propice à la négociation.
D’un côté, l’acheteur est coincé avec des désagréments qui peuvent être majeurs si l’unité n’est pas livrée comme convenu. Cela peut impliquer des frais de relocalisation et d’entreposage, mais surtout, dans un contexte de crise du logement, cela peut impliquer des difficultés à se reloger temporairement.
D’un autre côté, tant qu’il ne vend pas l’habitation, l’entrepreneur se prive de liquidités dont il aura tôt ou tard besoin. Malgré les acomptes de l’acheteur, l’entrepreneur engage dans la construction de l’habitation des montants importants qu’il doit financer. De plus, si l’habitation est effectivement vendue à l’acheteur original, mais en retard, et qu’elle est assujettie au Plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (ou protégée par un plan de garantie privé comportant des garanties similaires), l’acheteur sera alors en position de réclamer des frais de relocalisation et d’entreposage qui vont éclabousser l’entrepreneur.
Ainsi, il a lui aussi à perdre d’un bras de fer qui s’éterniserait et l’issu pourrait bien dépendre de la perception qu’a chacun des chances que l’autre cède. Si l’entrepreneur est convaincu que l’acheteur est trop mal pris pour se défendre, il risque bien de tenir son bout. Inversement, s’il est convaincu que l’acheteur tiendra jusqu’au bout, il aura alors intérêt à minimiser ses pertes en concluant rapidement une entente et en ne livrant pas trop en retard.
Un bémol : En particulier si le milieu est assez petit pour que des acheteurs puissent se connaître entre eux, si l’entrepreneur a de nombreux clients de qui il exige une hausse de prix, il pourrait accepter de perdre de l’argent à se battre avec quelques-uns d’entre eux, pour que leur épuisement serve d’exemple pour les autres, les incitant à accepter la hausse. Ce n’est évidemment pas une bonne stratégie d’affaire à long terme, mais si l’entrepreneur est aux prises avec une hausse importante de ses coûts et qu’il n’a pas prévu de clause d’indexation du prix à ses contrats, sa situation pourrait être précaire au point qu’il n’ait d’autres choix que d’obtenir les hausses exigées ou d’éventuellement devoir déclarer faillite.
Notons cependant que lorsque c’est le cas, la hausse exigée est généralement relativement modeste/raisonnable et correspond à la hausse des coûts de construction. Ce type d’entrepreneurs ne cherchent pas tant à profiter de la situation qu’à sauver les meubles. Cela ne la rend pas la hausse plus légale ou facile à absorber, mais elle est explicable mathématiquement. Par contre, lorsque l’entrepreneur exige une hausse de 100 k$ pour une maison de 400 k$, on est clairement plus dans une logique d’augmentation des coûts, mais plutôt d’une envolée du marché immobilier. L’entrepreneur réalise que s’il revendait l’habitation à quelqu’un d’autre, il obtiendrait un bien meilleur prix et tente alors d’obtenir la nouvelle valeur marchande, en obtenant une hausse, ou en se débarrassant de l’acheteur initial. C’est le genre de cas où il sera difficile de s’entendre.
Notez que chaque situation est unique et que vos recours spécifiques dépendent des circonstances de votre cas particulier. Il est donc important de consulter un professionnel spécialisé en droit de la construction et de l’immobilier pour obtenir des conseils juridiques adaptés à votre situation.
Violence économique et vice de consentement
Une notion fondamentale en droit des contrats est celle du consentement libre et éclairé. Pour qu’un contrat soit valide, il faut que ceux qui le signent l’aient fait librement. La violence, notamment, vient vicier le consentement et peut rendre invalide une entente. Par exemple, la validité d’une entente signée sous la menace d’être battu serait facile à contester si on peut prouver les menaces.
Or, des menaces de l’entrepreneur d’arrêter les travaux, de mettre fin au contrat ou de conserver un dépôt déjà versé si vous refusez la hausse de prix demandée, sachant très bien que vous n’avez pas d’autres options que d’accepter afin d’être logé quelque part, pourraient être qualifiées de violence économique.
Ainsi, dans certains cas, une entente conclue sous de telles menaces peut être invalidée par la suite (art. 1402-1402 CcQ et Roger Bisson inc. (Bisson Expert) c. Construction Benoît Moreau inc., 2020 QCCQ 2). Consultez un avocat si vous avez signé ou envisagez de signer une entente sous la menace.
Annulation du contrat
Dans tous les cas, si jamais l’acheteur s’entend avec l’entrepreneur pour annuler le contrat, il est important que ce soit l’entrepreneur et non l’acheteur qui, officiellement, l’ait annulé. Autrement, on nous a déjà dénoncé des entrepreneurs qui incitaient leurs clients à résilier leur contrat s’ils n’acceptaient pas la hausse exigée, pour ensuite leur charger une indemnité pour la résiliation (alors même qu’ils prévoyaient déjà vendre l’habitation plus cher à quelqu’un d’autre) !
À ce sujet, notons que « lorsque le contrat préliminaire prescrit une indemnité en cas d’exercice de la faculté de dédit, celle-ci ne peut excéder 0,5% du prix de vente convenu » (art. 1786 CcQ).
Synthèse
Lorsque l’entrepreneur promettant-vendeur d’une habitation neuve décide d’exiger une augmentation du prix pourtant convenu dans le contrat préliminaire, il est la plupart du temps dans l’illégalité. Deux principaux recours existent s’il n’est pas possible de s’entendre : l’ordonnance de sauvegarde et la demande en passation de titre. Néanmoins, pour que cela fonctionne bien, il faut généralement que le bâtiment soit pratiquement terminé, ce qui peut rendre le choix du moment où intenter ces recours très délicat. Cela dit, advenant qu’on s’y prenne trop tôt et que l’entrepreneur interrompe le chantier, il ne faut jamais perdre de vue qu’il a, lui aussi, quelque chose à y perdre. Comme pour tout bras de fer, il faut demeurer solide et déterminé pour l’emporter. Par ailleurs, si une hausse a été acceptée sous la menace, il pourrait être possible de la faire invalider.
Cela dit, chaque situation est unique et vos recours spécifiques dépendent des circonstances de votre cas particulier. Il est donc important de consulter un professionnel spécialisé en droit de la construction et de l’immobilier pour obtenir des conseils juridiques adaptés à votre situation.