Si vous nous suivez, vous savez que nous revendicons des changements législatifs concernant l'hypothèque légale de la construction depuis plusieurs années. Or, malgré un engagement préélectoral en 2018, puis un excellent rapport de la Chambre des notaires et une analyse d'impact réglementaire en 2021, le ministre de la Justice tarde à modifier la loi, vraissemblablement faute de solutions consensuelles.
C'est dans ce contexte que nous avons recherché du financement au Fonds d'études notariales de la Chambre des notaires du Québec, afin d'étudier les législations comparables des autres provinces et territoires, ce qui y fonctionne bien et moins bien, et surtout ce qui pourrait inspirer le législateur québécois.
Nous tenons d'ailleurs à remercier le Fonds pour sa contribution financière au projet.
Voici donc le Webinaire de lancement, le rapport, puis un bref résumé de celui-ci.
Webinaire de lancement du 28 octobre 2025
Téléchargez le rapport
« L'hypothèque légale de la construction
Ce qu'on peut apprendre des autres provinces canadiennes pour inspirer l'évolution du droit québécois »
(ACQC, 2025-10)

En résumé
Les similitudes
Comme ici, toutes les provinces et les territoires ont une loi qui vise à encadrer les créances dans l'industrie de la construction. Partout, l'idée principale de ces lois, c'est de protéger les acteurs les plus en aval dans la chaîne de paiement (notamment les ouvriers) de tout ce qui peut causer un défaut de paiement par des acteurs en amont. Donc, le législateur leur a accordé ce qu'eux vont appeler des privilèges de construction (ou construction liens, ou builder's lien, ou encore mechanic's liens, selon la province). Dans tous les cas, le privilège existe d'abord de manière occulte. C'est-à-dire que le privilège existe dès le début de la prestation de service ou la livraison des matériaux. Ensuite, la loi va prévoir un délai maximal pour réclamer/enregistrer un privilège qui va de 30 à 90 jours selon les provinces, délai qui débute en général à la l'abandon ou la fin des travaux. Une fois le privilège publié, la loi va prévoir un délai maximal pour intenter une action visant à faire exécuter le privilège, qui va de 30 jours à 2 ans.
Notons que partout, la Cour des petites créances n’a pas la compétence pour traiter de ces privilèges et un recours doit donc être initié dans un tribunal supérieur, même si la créance est de l’ordre des petites créances. Également, dans tous les cas, l’enregistrement d’un privilège n’est qu’une formalité, le fondement en droit n’étant jamais vérifié. Il appartient ensuite au propriétaire du bien grevé de s’en défendre s’il s’estime lésé.
Les différences
Donc, les différentes législations ne sont pas si différentes de celles du Québec et d’ailleurs, les enjeux rencontrés au Québec se retrouvent partout ailleurs, à divers degrés. Cependant, elles ont toutes trois différences majeures avec la législation québécoise.
D’abord, l’obligation des sous-traitants de dénoncer leurs travaux par écrit au propriétaire avant de les effectuer n’existe nulle part ailleurs qu’au Québec. Cette mesure informe le propriétaire qu’une personne a un droit hypothécaire sur sa propriété et qu’il devrait retenir le montant correspondant jusqu’à ce qu’il ait la preuve que le sous-traitant a été payé. Or, il s’agit d’un élément clé dans l’utilisation qui est fait de l’hypothèque légale, puisque de nombreux sous-traitants ne se donnent pas la peine de dénoncer leurs travaux et perdent ainsi leur droit à l’hypothèque légale. Ainsi, bien que dans la plupart des autres provinces, la perception est que la majorité des privilèges de construction sont inscrits par des sous-traitants, nous observons exactement l’inverse dans la rénovation au Québec.
Ensuite, pour compenser le fait que les sous-traitants n’ont pas à dénoncer leurs travaux, dans toutes les autres provinces, le propriétaire a une obligation de retenir un certain pourcentage sur les factures à payer pour une durée déterminée, afin de se protéger contre d’éventuels privilèges de construction, ce qui n’existe pas au Québec. L’avantage de la retenue obligatoire est que, du moment que le propriétaire effectue cette retenue, sa responsabilité face aux ayants droit (outre l’entrepreneur général) est limitée au pourcentage prévu par la loi. Le désavantage d’une telle méthode est que par ignorance de la loi ou dû aux pressions de l’entrepreneur, il y avait unanimité sur le fait que les consommateurs n’effectuent que très rarement la retenue prévue par la loi. Ainsi, dans les autres provinces, le fardeau de bien connaître le droit repose sur les épaules du propriétaire (qui doit effectuer la retenue), alors qu’au Québec, il repose sur les épaules du sous-traitant (qui doit dénoncer ses travaux pour conserver son droit). Cela nous semble cohérent avec l’idée, chère au droit de la consommation, que celui qui fait le commerce d’un bien ou d’un service est celui qui doit avec le fardeau d’être un expert dans le commerce de ce bien ou ce service.
Finalement, une différence significative est également que contrairement au Québec, où seuls certains professionnels peuvent requérir une inscription au registre foncier, dans les autres provinces, un entrepreneur peut lui-même remplir le formulaire pour inscrire un privilège de construction. Évidemment que les avocats le déconseillent, car certaines erreurs peuvent être fatales au privilège, mais lorsque le montant de la créance ne justifie pas le recours à un professionnel, l’entrepreneur peut faire inscrire son droit lui-même à peu de frais. En contrepartie, comme les frais d’avocat ne peuvent à eux seuls freiner l’inscription de privilèges d’un montant ridiculement bas, certaines provinces imposent une valeur minimum pour l’inscription d’un privilège de construction allant de 32 (IPÉ) à 1000 $ (NB).
Principales observations
Transactions immobilières
D'abord, dans le cas spécifique de transactions immobilières (et en particulier lorsqu’il est question d’une construction neuve), comme aucun acteur n’est tenu de dénoncer son droit à l’hypothèque légale au futur acheteur, on retient l’idée dans les autres provinces que la responsabilité du propriétaire soit limitée à un certain pourcentage (qu’il doit retenir). De manière similaire, l’idée qu’un certain pourcentage soit systématiquement retenu par le notaire jusqu’à ce que tout droit à l’HLC se soit éteint mériterait d'être considérée et aurait pu éviter des cas comme ceux découlant de la faillite de Bel-Habitat.
Priorisation des droits
Concernant la priorité de l’HLC sur presque toute autre créance, nous croyons qu’il y aurait lieu d’uniformiser nos pratiques avec celles de la plupart des provinces, lesquelles s’appuient sur le principe d’antériorité. Ainsi, une HLC ne devrait pas primer sur une hypothèque conventionnelle antérieure à l’enregistrement de l’HLC.
Délais d'inscription
Le délai pour l’inscription d’une HLC pourrait être augmenté, de manière à, au minimum, être plus long que la période de crédit habituelle de 30 jours. On ne voit pas sur quoi s’appuyer pour trancher entre les 40 jours de la Sask., les 45 jours de la C.-B. et du Nunavut, ou les 60 jours de l’ensemble des autres provinces, mais les 30 jours que le Québec partage avec T.-N.-L. nous semblent trop courts.
Une autre manière d’envisager ce délai, plutôt que de l’allonger, serait au contraire de le réduire à disons 21 jours, mais de le faire débuter à partir du moment où le client est effectivement en défaut de paiement, c’est-à-dire, soit au moment où il reçoit la facture si celle-ci est payable à la réception, soit à la fin de la période de crédit si la facture en offre une. Pour éviter les abus, il faudrait néanmoins que la facture ait été émise peu après la fin des travaux (disons 14 à 21 jours). Cela éviterait les cas où l’entrepreneur inscrit une HLC hâtivement, simplement pour éviter de perdre son droit.
Rôle des professionnels
Le Québec est la seule province où un entrepreneur ne peut pas requérir lui-même l'inscription d’un droit au Registre et doit recourir aux services d’un professionnel. Malgré que les erreurs lors d’une inscription faite par l’entrepreneur lui-même dans les autres provinces puissent souvent se retourner contre lui (et servir le consommateur), cela nous semble être un rempart minimal essentiel contre les inscriptions frivoles, vexatoires, abusives ou de mauvaise foi. Cela dit, cela n’empêche pas certains professionnels de tout de même en inscrire et parfois même d’être poursuivi pour cela. Or, même lorsqu’une faute professionnelle est reconnue, la responsabilité du professionnel nous semble sans commune mesure avec le dommage subit par la victime. Il nous semble que si le recours à un professionnel est nécessaire pour requérir une inscription au Registre, c’est précisément pour éviter des requêtes erronées, voire infondées. Il s’agit d’un rôle important qui justifierait une responsabilisation du professionnel beaucoup plus importante et la possibilité de réclamer dommages punitifs et frais extrajudiciaires.
Avis d'avoir à intenter une action
Afin de contrer les cas où le créancier inscrit un privilège sans intenter de recours (et les impacts que cela peut avoir sur le propriétaire), il serait opportun d’ajouter la possibilité, pour le propriétaire, de transmettre un « avis d'avoir à intenter une action » au créancier, le forçant à intenter une action dans un certain délai, après lequel, autrement, l’HLC expire. Cela nous semble une mesure particulièrement pertinente dans les cas où un propriétaire subit un préjudice de l’inscription d’une HLC injustifiée, ne souhaite pas un procès et les coûts qui viennent avec, mais souhaite que l’HLC expire pour pouvoir en obtenir la radiation plus simplement et à moindre coût.
Préciser la sûreté suffisante
Dans les cas où le propriétaire doit obtenir rapidement la radiation de l’HLC et doit pour cela offrir une sûreté suffisante, il y a parfois désaccord sur le caractère « suffisant » de la sûreté qui est offerte. Le fait de devoir défrayer des honoraires d’avocat juste pour s’entendre sur ce point spécifique constitue en soi un frein à l’accès à la justice. Ainsi, venir encadrer le montant supplémentaire requis pour qu’une sûreté soit suffisante pour être substituée à une HLC pourrait contribuer à simplifier certains litiges et à en réduire les coûts. La formule du plus petit montant entre un montant absolu et un pourcentage relatif, utilisée dans plusieurs provinces, nous semble une formule acceptable pour l’ensemble des parties.
Valeur minimum pour l'enregistrement d'une HLC
Cela dit, la principale raison de demander la substitution, outre l’exigence d’un prêteur hypothécaire ou d’un acheteur potentiel, c’est de pouvoir s’adresser à la Cour des petites créances. On peut alors sérieusement se demander s’il est raisonnable qu’un litige de l’ordre des petites créances doive être entendu à la Cour du Québec et puisse mener à la vente en justice d’une propriété. Il y a là une disproportion exceptionnelle entre le mal et le remède. Ainsi, peut-être conscientes qu’il y a bien un seuil en dessous duquel le privilège de construction est totalement déraisonnable, plusieurs provinces se sont dotées d’une valeur de créance minimum nécessaire pour enregistrer un tel privilège. Il nous semble que le Québec devrait faire de même. Les deux dernières en date, l’Alberta (2020) et le Nouveau-Brunswick (2021) se sont donné des seuils de 700 $, puis 1 000 $, que nous considérons être de stricts minimum.
Renvoi aux petites créances
Par ailleurs, depuis novembre 2024, la Loi sur la construction de l’Ontario permet de demander le renvoi de l’action pour instruction à la Cour des petites créances. Bien que ce système demeure bien imparfait pour un litige de cet ordre (puisque le litige doit quand même transiter par la Cour supérieure de justice, pour ensuite être renvoyé à la Cour des petites créances qui tranchera la question de la créance, pour revenir ensuite à la Cour supérieure de justice qui statuera sur le privilège de construction), cela demeure une avancée notable qui mériterait d’être étudiée au Québec.
Sévir contre les abus
Ensuite, plusieurs provinces ont prévu à la loi la responsabilité en dommages pour l’inscription de privilèges lorsque la personne « sait ou devrait savoir que le montant du privilège était délibérément excessif [ou] sait ou devrait savoir qu’elle n’a pas de privilège ». Cela nous semble aller de soi. Nous irions même encore plus loin en favorisant l’octroi de dommages punitifs et le remboursement des honoraires extrajudiciaires lorsqu’il est démontré que l’enregistrement était de mauvaise foi, et ce, aussi bien pour le créancier que pour le professionnel qui a requis l’inscription.
Par ailleurs, la Colombie-Britannique est la première province à considérer cela comme une infraction pour laquelle une amende est prévue. Cela a l’avantage d’avoir un effet dissuasif même dans les cas où l’abuseur sait que sa victime potentielle ne sera pas en mesure de se défendre, puisque c’est l’État qui pourrait sévir, indépendamment de la victime. Dans le contexte où les représentants de l’industrie défendent le caractère légitime de l’HLC au Québec ; que la loi n’est pas le problème, mais plutôt ceux (considérés marginaux) qui en abusent, il nous semble que des mesures fortes ciblant spécifiquement ces cas d’abus pourraient être porteuses.
Pour approfondir ces enjeux et d'autres, téléchargez le rapport.

