Surchauffe immobilière

Vendredi, 7 mai, 2021
Marc-André Harnois, ACQC

Un marché de vendeur s’est imposé presque partout au Québec et la concurrence entre acheteurs est devenue féroce, les transactions se concluant rapidement et souvent à l’aveugle. Dans ce contexte, nombreux sont les consommateurs qui renoncent à l’inspection préachat et à la garantie légale afin de parvenir à se loger, un comportement dangereux qui promet des lendemains difficiles. 

Malgré que les partis de l’opposition et de nombreux intervenants pressent le gouvernement du Québec d’agir face à la surchauffe immobilière, les ministres Andrée Laforest (Affaires municipales et Habitation) et Éric Girard (Finances) ont tour à tour montré le peu de sérieux accordé au dossier. 

D’abord, la ministre a accordé une entrevue décevante relatée dans La Presse du 22 avril. Le chapô donne le ton: «En pleine surchauffe immobilière, la ministre de l’Habitation, Andrée Laforest, préfère miser sur l’éducation et la responsabilisation des Québécois plutôt que sur l’intervention de l’État pour calmer le jeu». Il s’agit là d’un faux débat. Si on est bien d’accord que les acheteurs qui renoncent à l’inspection préachat et à la garantie légale prennent un risque inconsidéré et que le besoin d’éducation est criant, cela ne dispense en rien l’État d’intervenir. Au contraire, plus le citoyen est vulnérable, plus c’est justement le rôle de l’État de s’en mêler. Un rôle que la ministre n’a manifestement pas accepté. L’entrevue met aussi en évidence une méconnaissance flagrante des règles de transparence en matière de transaction immobilière. Il faut toutefois reconnaître qu’elles ne relèvent pas de son ministère, mais de celui d’Éric Girard.

Concernant ce dernier, questionné par l’opposition officielle, s’il a mentionné les deux pratiques inquiétantes (contredisant sa collègue au passage), il estimait que la surchauffe allait s’autocorriger, ce sur quoi Carlos Leitão, peu connu pour son interventionnisme étatique, l’a vertement contredit. Le ministre Girard, n’a cependant pas fermé la porte à l’idée de rendre les surenchères transparentes, ce que nous espérons qu’il fera sans tarder.

Depuis, le sujet fait couler de plus en plus d’encre (L’État doit-il intervenir pour discipliner le marché immobilier et si oui, comment ? ; Le laxisme n’est pas une option), si bien que la ministre Andrée Laforest a publié une lettre dans le Devoir afin de défendre sa gestion de la crise. On y apprend, discrètement, sans tambour ni trompette, son intention de rendre obligatoires les inspections préachat pour les maisons de 25 ans et plus: une révolution! 

Un écueil majeur se dresse cependant sur son chemin. Bien que très favorable aux inspections préachat, nous avons de sérieuses réserves sur le bassin d’inspecteurs au Québec. D’une part, il manque d’inspecteurs au Québec. Rendre l’inspection obligatoire pourrait bien causer une pénurie d’inspecteurs qui risque fort de paralyser le marché immobilier. 

D’autre part, cela fait plus de vingt ans qu’un encadrement de cette industrie est réclamé, notamment à cause des problèmes flagrants d’incompétence qui y sévissent. Andrée Laforest a réussi fin 2019 à faire adopter un projet de loi historique confiant cet encadrement à la RBQ. Cependant, on attend toujours le règlement nécessaire à la mise en place dudit encadrement, si bien qu’encore aujourd’hui, n’importe qui peut se dire inspecteur en bâtiment, sans formation ou compétence aucune. 

Rendre obligatoire l’inspection préachat dans ces conditions ne va-t-il pas mener à une hausse rapide des prix et à une vague d’opportunistes incompétents dans l’industrie? Lorsque la RBQ déposera son règlement, lequel contiendra sans doute une clause grand-père plus ou moins large, est-ce que ces supposés inspecteurs d’expérience pourront en bénéficier? 

C’est sans doute à ces craintes que la ministre tente de répondre en limitant la mesure aux maisons de plus de 25 ans. On peut cependant se questionner sur le choix du critère. L’inspection devant protéger l’acheteur, on doit chercher ici à cerner les acheteurs qui sont le plus à risque. Or, on voit également des problèmes majeurs sur des bâtiments pourtant récents. La ministre aurait pu utiliser le critère de la surface habitable ou du prix en imposant l’inspection des bâtiments lorsqu’on dépasse un certain seuil. Cela permettrait de protéger ceux dont l’investissement est le plus important, ou où la surenchère est la plus élevée. Le seuil pourrait même être modulé par région, de manière à s’assurer que le volume d’inspections requis ne dépasse pas la capacité de l’industrie à l’échelle régionale. 

Cela dit, indépendamment du critère retenu, nous espérons que le ministère a bien fait ses devoirs, car ils pourraient très bien empirer la situation. Après tout, un mauvais rapport d’inspection est parfois pire que pas de rapport du tout. Il faut éviter que cette obligation transforme l’industrie de l’inspection pour le pire et force les consommateurs à prendre le premier inspecteur venu, car ils pourraient bien se retrouver encore moins bien protégés qu’au départ.