Québec interdira-t-il l’usage d’un outil important ?

Mercredi, 8 septembre, 2021
Marie-Ève Fournier, La Presse

Extrait(s) :

Québec évalue en effet la possibilité d’interdire les hypothèques légales pour des sommes inférieures à 20 000 $ lorsque les travaux sont réalisés au domicile de particuliers.

Aussi surprenant que cela puisse paraître pour les non-initiés, les entreprises du secteur de la construction peuvent, en toute légalité, saisir une maison afin d’être payées. Et cela, peu importe la somme en jeu. Le mécanisme, appelé hypothèque légale, a pour objectif de garantir à ceux qui construisent ou rénovent un immeuble d’obtenir leur dû.

Mais bien souvent, les clients refusent de faire un chèque parce qu’ils sont insatisfaits de la qualité des travaux. C’est à ce moment-là que l’hypothèque légale devient une arme disproportionnée, juge l’Association des consommateurs pour la qualité dans la construction (ACQC), qui milite pour faire changer les règles du jeu.

Car chaque jour, des Québécois se retrouvent pris en otage parce qu’ils jugent que des travaux sur leur propriété ont été bâclés, comme je l’ai déjà écrit. Leur maison pourrait être vendue pour une dette de 4000 $ ; alors ils paient assez vite !

En avril, le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, m’avait confié qu’il se penchait sur la question des hypothèques légales qui, à son avis, soulèvent « plusieurs préoccupations, notamment quant à leur caractère occulte ». De fait, il a mandaté la firme Raymond Chabot Grant Thornton (RCGT) pour analyser les impacts d’une abolition de cet outil (pour les petits travaux) sur les entreprises du secteur de la construction.

La nouvelle a été ébruitée par l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ) sur son site web. Du même souffle, celle-ci a déclaré que la mesure aurait « des répercussions importantes pour les entrepreneurs » et qu’elle a « soumis plusieurs arguments [à RCGT] pour appuyer son point ». 

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L’interdiction de l’hypothèque légale pour de petits travaux résidentiels serait évidemment une excellente nouvelle pour rétablir l’équilibre entre les consommateurs et les entreprises du secteur de la construction, selon le directeur général de l’ACQC, Marc-André Harnois. « C’est un droit spécial qu’on a donné à cette industrie pour des raisons qui étaient peut-être logiques à une autre époque, mais qui, clairement aujourd’hui, n’ont plus de sens. »

D’ailleurs, quelque chose ne tourne pas rond quand un entrepreneur affirme qu’il a besoin de l’hypothèque légale parce qu’il s’agit de son seul moyen de se faire payer, ajoute-t-il.

De fait, il est difficile de justifier que les entreprises de la construction aient accès à cet outil puissant alors que toutes les autres entreprises qui courent après leur argent doivent se tourner vers les tribunaux.

Chaque année, au Québec, quelque 600 hypothèques légales sont enregistrées pour des travaux résidentiels de moins de 20 000 $.

La Chambre des notaires croit elle aussi que les hypothèques légales « constituent une menace pour la protection du public et la sécurité économique des consommateurs », écrit-elle dans un rapport de 50 pages remis au ministère de la Justice en avril. [...]

Même s’ils ne proposent pas l’abolition pure et simple de l’hypothèque légale, les notaires croient qu’il y a encore « matière à réflexion quant à la pertinence de maintenir ou non cette protection unique » dont bénéficient uniquement les acteurs du secteur de la construction. Et ils insistent sur l’importance de mieux encadrer le mécanisme.