L’hypothèque légale de la construction : un enjeu encore plus d’actualité

Vendredi, 29 mars, 2024
Marc-André Harnois, DG ACQC

Je le mentionnais dans l’infolettre de septembre dernier : nous avons acheté les données afin de mettre à jour notre analyse de mars 2021 sur l’hypothèque légale de la construction (ci-après HLC). Bien qu’on n’ait pas encore pris le temps de produire un document présentable sur nos conclusions, je peux au moins maintenant vous partager quelques constats. Le but étant entre autres de voir l’impact qu’a pu avoir la pandémie, il sera question de périodes pré, puis post-pandémiques, la frontière étant tracée à juin 2020. 

D’abord, le recours à l’HLC est en forte augmentation. Alors qu’en période pré-pandémique, ça stagnait à autour de 2800 HLC/an, on en était rendu à 6500/an en mai 2023. De ce nombre, on en compte encore environ 1100/an pour un montant de moins de 25k$. 

Si l’on se concentre sur les HLC concernant des catégories de bâtiment généralement possédées par des consommateurs (maisons unifamiliales, condos, duplex, triplex, maisons mobiles), on cumule 43% des HLC post-pandémiques. Alors que la tendance pré-pandémique était à la baisse (-8%/an), la tendance post-pandémique est à une forte hausse, étant passée de 941 en mai 2020 à 2292 en mai 2023 (+1351 ou +144%). Cette hausse est essentiellement attribuable à la région de Montréal (+1413 ou +131 %) et en particulier à la catégorie des condos (+1044 ou +346 %), avec certaines faillites importantes dans ce secteur.

Malgré le montant élevé des HLC liées à certaines faillites, sur 3 ans, les HLC de 15k$, 20 k$ (+39%) ou 25k$ (+16 %) sont également en hausse marquée dans ce segment. Les HLC de moins de 15 k$ en particulier y sont passés de 11 à 87 cas/an en 3 ans (+691%).

Une nouveauté dans cette mise à jour relève d’un écueil méthodologique majeur rencontré en 2021: la difficulté d’isoler les HLC qui affectent des consommateurs de celles dans d’autres domaines, par exemple sur des propriétés commerciales ou industrielles. C’est pourquoi nous avions demandé à avoir la catégorie de bâtiment pour chaque hypothèque légale. Or, de 15 à 34% (en augmentation) des HLC publiées concernent la catégorie «Terrain». Sachant qu’il y a des catégories distinctes pour certains types de terrains (p.ex. «Terrains commerciaux»), on peut supposer que «Terrain» concerne généralement des terrains résidentiels, mais ce n’est pas toujours le cas. Or, avec maintenant plus du tiers des HLC, on peut difficilement les exclure sans fausser le portrait. Pour les inclure tout en limitant la contamination des données par des terrains non résidentiels (où on peut trouver des HLC de plusieurs M$), il a été décidé de limiter la valeur des HLC retenues à 550k$, soit la valeur approximative de la maison qu’un ménage de 150 000 $ de revenus après impôts (92e rang centile au Québec) peut se permettre aux taux actuels, avec une mise de fonds de 20% et en y consacrant 20% de ses revenus. Ainsi, on arrive à un segment vraisemblablement plus représentatif des consommateurs, mais aux résultats moins fiables. 

Ainsi,en incluant la catégorie «Terrain» tout en limitant le montant des HLC considérées, ce segment «consommateur» cumule la majorité (63%) des HLC post-pandémiques. De plus, les HLC de moins de 25 k$ représentent 30% de ce segment, soit 19% des HLC post-pandémiques totales. La forte augmentation post-pandémique est similaire pour ce segment qui est passé de 1595 à 3940/an (mai 2023)  (+147 % en 3 ans). Le montant moyen des HLC post-pandémiques de ce segment est de près de 103,5 k$, mais si l’on s’intéresse uniquement aux 30% à moins de 25 k$, il est d’un peu plus de 13,2 k$.

Bien que le phénomène dans ce segment se soit montréalisé depuis la pandémie (les parts pré, puis post-pandémiques que cumulent Montréal et Laval sont passées de 36 à 49 %), il est bien présent partout au Québec, avec 32% cumulés dans les régions de Québec et des couronnes métropolitaines, puis 19 % dans le reste de la province. En proportion de la population, la moyenne québécoise est à 91 HLC par 100 000 habitants. À noter que dans ce segment, outre Montréal (143) et Laval (220), la région des Laurentides (126) est la seule région au-dessus de la moyenne. À l’inverse, les régions du Nord-du-Québec (0), du Bas-Saint-Laurent (23), de la Mauricie (28) et de l’Abitibi-Témiscamingue (28) sont celles où il y en a le moins, en proportion de la population. 

Pour conclure, sans même considérer les nombreux appels qu’elle reçoit à ce sujet, l’ACQC considère donc que ce problème est toujours d’actualité (et même en augmentation) et que son interprétation de celui-ci est toujours tout à fait compatible avec les données disponibles. Nous maintenons donc notre revendication d’interdire (au moins lorsqu’il est question d’un bâtiment ou terrain zoné résidentiel) l’inscription d’une HLC de 15 000 $ ou moins (seuil de la Cour des petites créances), ainsi que de moins de 20 000 $ (seuil de l’article 700 du Code de procédure civile) sur la résidence principale du débiteur. Notre analyse étant ciblée sur le type de cas qu’on nous dénonce régulièrement, je ne traiterai pas ici des nombreuses autres modifications souhaitées. Néanmoins, nous appuyons fortement les recommandations du rapport de la Chambre des notaires du Québec à ce sujet (2021) et réitérons que le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, devrait donner suite à sa promesse électorale de 2018 de modifier les règles de l’HLC.